previous.gif     next.gif    

III.

Chaque matin, Jason faisait de la bicyclette. C'était un modèle sophistiqué, fixé au sol de sa chambre à coucher. Il comportait un écran qui montrait, en couleurs, les deux côtés d'une route imaginaire, idéalement vide de trafic, avec toutes les impressions visuelles de tournants et de lignes droites, engendrées électroniquement. On pouvait pédaler plus ou moins vite, la route et le paysage se développaient en conséquence. Les pentes aussi étaient enregistrées, sous forme de résistances qui s'opposaient aux coups de pédales ou, à l'opposé, de déclivités grisantes qui vous accéléraient à la descente. On pouvait choisir son parcours: les rues de New York; un chemin de campagne en Nouvelle-Angleterre; les bords de l'Océan à l'extrémité de Long Island; la traversée du Golden Gate Bridge...

Un dimanche sur deux, une limousine d'un service de location, conduite par un affable petit chauffeur en livrée du nom de Javer, venait prendre Mrs Lovatt chez elle, à Queens, dans la communauté de retraités où elle habitait depuis quelques années, pour l'emmener chez son fils, avec qui elle déjeûnait tous les dimanches. La limousine parcourait le grand cercle sous les arbres et s'arrêtait sous la marquise de l'entrée principale. Le concierge prévenait Mrs Lovatt au téléphone et le petit Javer extrayait du coffre un fauteuil roulant pliant, et montait prendre Mrs Lovatt dans son appartement du second étage. Mrs Lovatt marchait relativement bien, malgré son âge, et aurait pu prendre un taxi sans difficultés, mais Jason avait imaginé cette mise en scène pour la divertir et elle en jouissait tant qu'elle ne pouvait plus s'en passer. Elle s'installait comme une reine dans le fauteuil roulant et Javer la poussait, radieuse, le long des corridors, jusque dans l'ascenseur, puis lui faisait traverser le grand hall, et parfois, elle lui demandait de faire un tour dans la cafétéria afin de se faire voir et de prendre congé. Le concierge en livrée marron tenait ouverte pour elle la porte de la limousine. Une fois sur deux, la veille, en prévision de l'occasion, sa coiffeuse venait de Flushing pour reteindre ses racines en blond fraise et remettre en plis ses cheveux qui étaient clairsemés et montraient par transparence son cuir chevelu rose. Son visage était menu et frais, rose et très ridé, maquillé avec excès et incertitude; ses paupières inférieures tombaient en formant un arc de cercle et donnaient à ses yeux limpides une expression innocente et curieuse. Elle était maigre, fluette, légère, évanescente. Sa substance la quittait, inexorablement, mais il lui restait ce sang rose et vif qui lui courait sous la peau et la maintenait droite, comme une flamme. Elle portait de grandes lunettes de forme bizarre au cadre orné de perles; à la main, un sac de crocodile beige à l'anse de perles, une canne de plexiglas rose qui pouvait s'allumer la nuit. Elle était vêtue ce jour-là d'une robe de soie beige imprimée de roses. Sa voix, lorsqu'elle prenait royalement congé du concierge, était d'une force inattendue, rauque et profonde, croassante et autoritaire, elle vous traversait jusqu'à la moelle, même lorsqu'elle prétendait murmurer.

La limousine était une Lincoln Continental blanche, blindée, sur-allongée, aux vitres opaques. Il en émanait un tintamarre de musique rock. Le fils de Javer, vautré sur le siège avant, tenait dans son giron un énorme poste de radio. La glace blindée opaque était baissée de son côté, apparemment pour faire de la place au bruit. Mrs Lovatt n'y prêtait guère attention, elle l'entendait à peine, il faisait partie, pour elle, de la rumeur du trafic. Avec mille égards, Javer l'installait sur la banquette de cuir. Il mettait la télévision. Elle, se jetait aussitôt sur le téléphone pour appeler sa soeur, en Floride, qui lui répondait invariablement: "Pourquoi tu appelles?" Elles bavardaient jusqu'au Tunnel de Queens-Midtown, où la communication, l'image de la télévision, la radio du fils s'interrompaient ensemble.

Javer emmenait son fils pour l'aider avec le fauteuil roulant. Le fils, adolescent, était colossal et taciturne, foncé de peau alors que Javer était doré et délicat. Il se dandinait sur son siège au rythme de la musique. Mrs Lovatt, à travers la glace de séparation fumée, discernait sa nuque déplaisante, qui faisait trois bourrelets.

Averti au téléphone par Javer, Jason avait dépêché Daniel sur le trottoir pour attendre la voiture. Mrs Lovatt prit son temps pour s'extraire de l'arrière, pour rassembler son sac et sa canne, et embrassa Daniel sans prêter attention à lui, sans guère s'étonner de sa présence, comme s'il était un personnage interchangeable, parmi une cour nourrie d'adorateurs et de valets, le traitant comme elle l'avait toujours fait, comme une entité abstraite qui aurait été en même temps une extension de sa propre personne: son petit-fils.

- Mon petit-fils! s'exclama-t-elle d'une voix gutturale, en accentuant fortement la syllabe possessive. Ces mots servirent également à le présenter à Javer qui se trémoussa plusieurs fois, avec le geste de s'incliner, en souriant aimablement.

Le fils de Javer ne se hâta pas de bouger. Javer déplia le fauteuil roulant. Mrs Lovatt s'y installa, les deux mains appuyées sur sa canne. Daniel la poussa le long du couloir, à travers la cour, suivi de Javer et, à distance, de son fils qui traînait la jambe en mâchant largement. Le poste avait été laissé à hurler dans la voiture fermée.

Daniel et le fils se retrouvèrent avec le boulot de porter Mrs Lovatt dans son fauteuil jusqu'au quatrième et le gosse s'arrangea pour faire porter le plus grand poids à Daniel. La charge n'était pas lourde, mais depuis la cour, Javer invectiva son fils en espagnol. Le gosse ricanait. Il avait plutôt une bonne bouille. Il n'avait pas seize ans mais déjà une moustache respectable. Sur sa poitrine, au bout d'une chaîne d'or, pendait une médaille de la Vierge de Lourdes, la plus grosse qu'on ait jamais vue. Il montait à reculons, très lentement, en laissant le fardeau piquer vers le bas à chaque marche, en direction de Daniel, et s'efforçant de secouer le plus possible Mrs Lovatt dans son fauteuil. Mrs Lovatt se cramponnait aux bras du fauteuil, toute raide et comme momifiée par la peur. Javer suivait quelques marches plus bas, avec des exortations inquiètes.

Jason accueillit le colosse au bout de l'escalier avec un pourboire. Javer se répandit en expressions de gratitude envers Daniel. Il prit congé en le recommandant à la Vierge de Lourdes. Mrs Lovatt, dès qu'elle eu retrouvé la terre ferme, s'exclama que c'était bien la dernière fois qu'elle ferait ce voyage, qu'il fallait que Jason déménage de ce taudis et prenne un appartement dans un immeuble avec un ascenseur, il était tout de même assez riche.

Ayant fait cette déclaration, Mrs Lovatt quitta son fauteuil roulant, fit deux pas vers l'ottomane de l'entrée et s'y laissa retomber avec décision, en annonçant:

- C'est mon sofa!

Jason embrassa sa mère et fit mine de la prendre par le bras pour l'emmener ailleurs. Elle répéta, comme si elle se défendait de lui:

- C'est mon sofa!

- Viens donc t'asseoir au salon, Maman!

- Je suis très bien ici, autant m'asseoir sur mon propre sofa, je me sens plus à l'aise.

- Bien sûr, Maman, c'est ton sofa, qui dit le contraire?

C'était une large et profonde ottomane en acajou, avec des pieds lion, recouverte de soie cramoisie brochée en rayures.

- Je veux que tu me le fasses livrer chez moi cette semaine!

- Tu n'as pas de place, Maman, et j'en ai besoin.

- Si tu me le fais livrer, je m'occuperai bien de lui trouver de la place, je t'enverrai le mien.

- Je n'en veux pas du tien, Maman! Viens te mettre au salon, tu ne veux tout de même pas qu'on s'installe tous dans l'entrée?

- Pourquoi pas? Vous pouvez bien me tenir compagnie ici!

Daniel les regardait, allant de l'un à l'autre, les membres relâchés, avec une expression d'incompréhension, et l'attitude attentive d'un chien. Il hésitait à aller chercher des chaises.

- Il me vient de ma mère!

Jason se tenait devant elle, voûté. Sa respiration, lourde d'habitude, s'accélérait. Il était fou de rage, déjà.

- Mais non, Maman, cela c'était un autre sofa. C'est Nikki qui a acheté ce sofa à San Francisco, il y a une vingtaine d'années...

- Comment? Comment? cria Mrs Lovatt. Qu'est-ce que c'est que ce mensonge? Nikki? Qui est Nikki? Je ne vois pas de qui tu veux parler...

- Nikki, la maman de Daniel, souffla Jason, tout rouge.

Devant sa mère, au bout d'un moment, même lorsqu'il n'était pas en colère, l'attitude de Jason, l'intonation de sa voix, se transformaient inévitablement, devenaient ceux d'un enfant obstiné, recalcitrant. Il rentrait la tête, avançait les épaules, fléchissait légèrement les genoux, comme prêt à bondir. Comme il était très grand, cela lui donnait une allure plus piteuse que menaçante. Daniel vit qu'il devint vraiment très rouge, puis pâle tout d'un coup, et puis, c'était incroyable, ses genoux se mirent à trembler, très fort, s'entrechoquant, comme chez un acteur secoué par le trac.

- La maman de Daniel c'est Shelley, tu ne te souviens pas du nom de ta propre femme...

Jason savait parfaitement, et Daniel aussi, que c'était pure mauvaise foi de sa part, de prétendre ne pas se souvenir de Nikki, car elle écrivait une ou deux fois par an à Thonon-les-Bains et ne manquait jamais de mentionner les flacons de Chanel qu'elle recevait de Nikki en retour.

- Tu me le feras apporter cette semaine, n'est-ce pas?

- Maman, je ne peux pas, non, çela n'est pas possible, il faudrait un camion de déménagement, c'est une grosse dépense, non, quand je déménagerai, et je déménagerai bientôt, tu verras, alors que te ferai apporter toutes sortes de choses, y compris le canapé...

- Tu déménageras dans un endroit avec un ascenseur, j'espère...

- C'est promis.

- Tu me le feras livrer chez moi?

- Oui, mais tu attendras que je déménage.

- Cela dépend. Est-ce que je sais quand tu déménageras?

- Bientôt, Maman, je t'assure!

- Je serai peut-être morte avant...

- Ne dis rien de pareil, Maman, je t'en prie, ne dis pas de bêtises...

- Quand je serai morte, il ne me servira plus... Je ne vivrai plus longtemps, il vaut mieux que je l'aie tout de suite!

Et cela continua. Même pour déjeûner, Mrs Lovatt refusa de quitter l'ottomane. Elle voulait que le repas fût servi dans l'entrée. Jason trépigna et dit qu'en ce cas, on ne mangerait pas, personne. Mrs Lovatt dit qu'elle n'avait pas faim.

- Maman, la table est servie sur la terrasse, Maman, j'ai tout fait apporter de Mulberry Street... De ton restaurant préféré... Tu ne veux même pas la voir? Mais qu'est-ce qui te prend? Tu veux qu'on te le porte sur la terrasse, ton sofa? C'est quand même plus facile que de rentrer la table...

Elle lui tendit la main, acceptant qu'il l'aidât à se relever. Elle se laissa guider vers la terrasse en trottinant, appuyée sur son bras.

Pendant le repas, Daniel remarqua que son père avait du mal à tenir sa fourchette d'une main ferme. Ses doigts mous tremblaient. Même, il passa la fourchette à droite et empoigna de l'autre main, pour l'immobiliser, son poignet qui semblait tenter de fuir en avant. Daniel sentit sa gorge s'obstruer d'une sorte de boulet de chair aux pulsations anxieuses; il se tenait rigide sur sa chaise, comme pour contrôler les mouvements de ce boulet. Les scènes domestiques le jetaient dans un état d'angoisse affreuse. Jamais son père ne lui était apparu si faible. Il vit des bouchées de nourriture retomber de sa fourchette dans son assiette comme les proies d'un rapace maladroit, et Jason portait néanmoins l'instrument à sa bouche en prétendant de manger, puis de déglutir. Soudain, une traînée de sauce se répandit sur son menton et sur le devant de sa chemise.

- Tu baves, maintenant, dit sévèrement Mrs Lovatt.

- Maman, dit-il, tu me rends nerveux.

- Tu es comme ton père, exactement, c'est comme cela que ça a commencé avec lui.

- Quoi donc? demanda-t-il d'une voix petite, torturée, une voix de théâtre, de farce, qui semblait trahir la présence d'une absurde petite créature inconnue cachée quelque part dans sa large carrure.

- La sénilité.

Lorsque Javer reparut, il était accompagné, à la place de son fils, de sa femme, qui était grasse et belle et quasi incandescente - ses bijoux, le tissu de son chemisier, ses dents, le blanc de ses yeux - et d'une jolie petite fille en robe d'organdi empesée, comme une communiante. Ils étaient montés jusqu'à l'appartement tous les trois. Javer comptait de toute évidence sur Daniel pour l'aider à porter Mrs Lovatt au bas des escaliers. Pour ne pas transpirer, Javer retira sa veste et sa casquette, que sa femme emporta sur son bras. Ils descendirent ainsi en curieux équipage, la petite fille dévalant devant comme une glorieuse libellule, Daniel qui cette fois avait insisté pour se charger du côté le plus lourd, et Javer essoufflé qui remerciait, portant ensemble Mrs Lovatt digne et pétrifiée, comme une idole égyptienne dans une procession, puis la femme étincelante, et derrière Jason Lovatt.

Après que l'immense et nuptiale surallongée eût emporté Mrs Lovatt et la famille Javer, ni Daniel ni son père ne firent allusion au déjeûner. L'après-midi était déjà avancée et ils devaient se rendre à Quoque, chez Dola, à quelque deux cents kilomètres à l'est, sur la côte de Long Island. Dola, qui avait insisté pour voir Daniel avant qu'il ne parte pour la Californie le lendemain, leur avait donné rendez-vous dans sa maison de week-end. Elle aurait pu les recevoir chez elle à Manhattan, dans son appartement. Non, elle avait décidé que ce serait à Quoque, où elle les avait devancés. Jason s'efforçait de maintenir dans son existence, par illusion ou par devoir, un tourbillon de déplacements et de rencontres, une agitation de plaisirs forcenée qui démontraient sa participation aux futiles dispersions d'énergie des riches.

Daniel demanda, en traversant Queens:

- C'est sérieux, ton intention de déménager?

Jason répondit que Manhattan était décidément très cher. Il désirait une vie plus calme, non pas à la campagne, s'entend, mais à proximité de quelque communauté universitaire, pas trop loin de la Ville, où il pourrait, "si les choses prenaient un tour pour le pire," reprendre un job dans l'enseignement. Ses finances n'étaient pas dans le meilleur état, pour l'instant, et il vieillissait. Et puis, une résidence trop coûteuse était un boulet qui vous empêchait de jouir des autres choses de la vie. Il se mettrait bientôt à chercher quelque chose, mais ce n'était pas pressé. Il devait se rendre au Japon cet été, pour un projet de spectacle dont il était un consultant et qui le remettrait probablement à son aise très vite, et pour longtemps, c'était un sorte de chaîne de lieux de spectacles, expliqua-t-il, où l'on se trouvait replongé dans l'ambiance des sixties en Amérique. Disons que ce sera comme si l'on pouvait monter sur la scène de Hair en pleine représentation. Bien entendu, c'était entièrement nostalgique, mais par ailleurs c'était un concept nouveau, etc. Daniel n'avait qu'une vague idée de Hair.

- Il y a beaucoup de sexe?

- Non, mais il y a beaucoup de cheveux. Les Japonais sont terriblement intrigués par les cheveux.

Il y avait une autre possibilité, dit Jason. Dola voulait l'épouser. Dola était riche, ce qui résoudrait son problème. Il avait dit non, sans ambiguité. Il aimait pourtant Dola, depuis plus de deux décennies. Mais il y avait un obstacle considérable qui l'empêchait en toute honnêteté de considérer l'offre de Dola: à ce moment de sa vie, il avait un appétit irrépressible de "jeunesse." Il lui fallait s'entourer de femmes jeunes. Une, deux, trois, cinq, dix. Pour coucher, mais pas seulement. C'était comme une manie, c'était peut-être l'intérêt essentiel de sa vie en ce moment, il fallait être atteint soi-même pour comprendre. Si Dola savait? Elle s'efforçait de s'aveugler, peut-être même croyait-elle qu'il s'agissait chez lui d'une sorte de paradigme existentiel, un peu comme le lolitisme de Nabokov, dit Jason. Il ne doutait pas qu'ils vivraient heureux ensemble, qu'ils ne pourraient point sans doute prendre de meilleure décision ni l'un ni l'autre, car Dola elle-même avait ses problèmes, mais il refusait de considérer ne serait-ce qu'une seconde de vivre de l'argent de Dola et d'entretenir ces relations vitales pour lui en toute indépendance.

- Somme toute, tu veux conserver ton indépendance et ta position de supériorité!

- Depuis qu'on se connaît, c'est à dire depuis avant ta naissance, c'est pour cela qu'elle m'a aimé, parce que j'étais indépendant et supérieur, dit-il en riant.

Daniel était au volant, il avait un peu conduit la Porsche lors de ses visites précédentes. Jamais sur une aussi longue distance. Ils avaient le soleil dans le dos, le paysage indifférent se déroulait, l'autoroute se vidait de plus en plus après chaque sortie; dans la direction opposée, la rentrée du week-end commençait. Jason l'encourageait à aller vite. Ce n'était pas difficile. A cette heure, il y avait peu de contrôles. Et puis, disait Jason, si l'on comptait ses sous pour les excès de vitesse, autant renoncer à avoir une Porsche. Il poussa brièvement au-delà des quatre-vingt dix milles sur le Sunrise Expressway. Surtout, d'ailleurs, pour calmer son père qui se moquait de ce qu'il allait trop lentement. Il n'était jamais allé aussi vite. Plus de pulsation, de souffle, de nervosité, plus d'immanence. Il se dit que mourir n'était rien, évidemment, mais tuer. Dans cet état de parfaite lucidité, il se demanda quelle proportion de gens se ficheraient de tuer, pour le plaisir de mourir?

- J'ai beaucoup d'amies qui sont maintenant dans le groupe d'âge de Dola, faire l'amour par nostalgie, à l'occasion, n'a rien de dégradant, au contraire... Cela peut être tout à fait exquis... Je ne suis pas un obsédé de jeunesse...

Lorsque Jason avait connue Dola au temps des vaches grasses, elle était une danseuse déjà en fin de carrière, qui soignait et entretenait un mari sculpteur à peu près insane. Jason exposait chez lui les oeuvres du mari, qui étaient pour la plupart des compression violentes de métal. Dola avait raté l'audition pour la comédie musicale, mais Jason l'avait attachée vaguement à son bureau de presse. Après la naissance de Daniel, le baby-sitting occasionnel avait fait partie de son travail. Lorsqu'il avait connu ses premiers déboires, Dola avait fait preuve d'un dévouement infini, animal, magnifique. Absolument naturel, chez elle: la tendance fondamentale de son caractère. Le sculpteur s'était suicidé à l'essence et au feu, spectaculairement. Alors, elle avait épousé un ami ou plutôt, un bailleur de fonds de Jason, un financier richissime. Il avait un cancer; il voulait jouir au moins jusqu'à sa mort de ce phénoménal dévouement; elle réussit à le prolonger pendant onze ans.

Dola était arrivée dans un petit bimoteur, elle avait apporté de grands sacs de nourriture de chez Zabar's et les avait empilés tels quels dans le réfigérateur. Sa guatémaltèque lui avait fait faux-bond car son fils avait une poussée de fièvre. Elle était restée à Manhattan. La domestique détestait de voler dans un petit avion, même sur une courte distance. Le bruit des moteurs lui donnait la migraine et lui troublait l'estomac. Elle ne manquait jamais non plus de morigéner Dola de "risquer sa vie dans de petits avions."

Ayant empilé les sacs dans le réfrigérateur, Dola décida qu'on irait manger au restaurant après tout.

La maison de Dola sur la dune, dans cette contrée de propriétés d'un luxe sinistre, était presque modeste. Elle était toute en bardeaux couleur d'écume. Elle n'avait pas de piscine. Les baies vitrées étaient trop vastes. La décoration, à la fois trop austère et chichiteuse. Trop de blancs et de gris. Trop de bleus. (Elle était aussi trop près de la mer: les tempêtes tropicales ne la rataient jamais.) Dola passait les dix premières minutes après chacune de ses arrivées à jeter machinalement des choses, des vêtements, de droite et de gauche, sur les bras de fauteuils, les tables, sans autre but que de faire du bordel.

Roulée dans un inconfortable fauteuil de ficelle avec la grâce des danseuses engraissées, Dola finissait son troisième vodka-martini. Cinquante-neuf ans. Un nez en patate. De très beaux yeux gris bleuté, des cils incroyables. La peau imbibée. De grandes oreilles masculines dégagées par sa coupe de cheveux rasée sur les côtés, en brosse au centre, en Mohawk.

- Quand je te vois, tu me fais pleurer, dit-elle à Daniel. Mon bébé!

En le regardant, ses yeux s'embuaient pour de bon. Elle trouvait fascinant tout ce qu'il lui disait de ses projets, de ses espoirs. Elle avait donné vingt mille dollars l'année dernière pour sauver les baleines. Quinze mille pour le sida. Elle décida qu'il était temps qu'elle s'occupe de la forêt tropicale.

Le soir elle emmena Daniel marcher sur la plage au bas de la dune, une plage immense, blanche comme de la sciure de hêtre. Elle s'accrocha à son bras. Ils avaient laissé Jason endormi dans un fauteuil. Ils n'étaient pas seuls sur la plage, mais elle fit remarquer à Daniel qu'ils étaient les seuls à marcher normalement. Tous ceux qu'ils rencontraient couraient, joggaient.

Une femme passa, faisant du "power walking:" marchant avec détermination, les coudes aux corps, les poings serrés, coinçant les mâchoires, les yeux exobités, en faisant jouer tous les muscles possibles de son corps: elle soufflait, rouge, en sueur, elle était mince comme une allumette, sous le short se dessinaient les os de son bassin. Blonde, liftée, visage de cheval. Très, très grande. C'était la voisine de Dola, son amie. Deux terre-neuve l'accompagnaient, allant et venant, détalant, se poursuivant, ils couraient dans les vagues, s'ébrouaient, prenaient leur plaisir. Ils chassaient les rangées d'oiseaux qui pêchaient sur la ligne d'écume.

- Stocks, cria Dola, Bonds!

Ils bondirent vers eux. Les vagues roulaient de très loin.

- Stocks et Bonds, ce sont leurs noms?

Actions et Obligations.

- Dis-moi que je rêve!

- Ici, quand les gens parlent de s'amuser, et les gens n'achètent pas à Quoque pour d'autres raisons, c'est pour se mettre en forme comme ils disent, c'est pour se faire du muscle, se châtier le corps pour se faire du muscle. Par n'importe quel moyen. Tous des fous du muscle, lui souffla-t-elle. Et tu sais pourquoi? Ils ne te le diront jamais, ils ne le savent pas eux-mêmes. Pour récupérer les muscles. Pour les reprendre aux Noirs. Toute cette obsession, c'est pour ça!

Elle le lâcha soudain et sans élan, elle fit trois roues parfaites sur le sable. Elle s'arrêta au milieu de la quatrième, la tête en bas, et lentement écarta les jambes. Elles les écarta presque à l'horizontale. Elle fléchit les coudes et sa tête se posa sur le sable. Les pointes de ses orteils, de part et d'autre, touchèrent le sable. Elle se redressa, le visage fixe, sérieux, asobri. Daniel lui tendit les bras, pour l'embrasser.

Elle remarqua qu'il avait de fort beaux muscles, lui aussi, d'où venus? (L'aviron, la natation, le ski). Il lui avoua qu'il en avait honte, depuis une chose fort déplaisante qui lui était arrivée à Pâques, et qu'il cherchait à s'en défaire. Il penchait maintenant pour le yoga, le végétarianisme.

Il lui raconta qu'il s'était rendu seul à Istamboul, et s'était trouvé d'emblée saisi de panique. "J'ai passé la première journée enfermé dans ma chambre, le choc culturel total, c'était ma première expérience de l'Orient, j'avais honte de ne pas oser sortir, et puis j'ai pris mon courage à deux mains, je me suis promené dans les rues autour du Grand Bazar, et tout allait bien, je commençais à jouir de l'expérience, et puis tout à coup... l'eau, je ne sais pas... j'ai été pris de diarrhée, enfin, de crampes intestinales... J'ai couru dans le premier café venu, j'ai dit quelques mots en anglais, en français, en allemand, obligeamment un serveur m'a conduit dans une arrière-cour, en passant par les cuisines, les rues sont couvertes mais les arrières-cours sont à ciel ouvert, il y avait un grand acacia, et, bon, il y avait des toilettes, à la turque... Dans mon hôtel, il y avait des toilettes à l'occidentale... Pas d'électricité, mais la porte a de larges fentes, si bien qu'on y voit assez clair. Bon, il y a un trou, entouré de faïence, avec des dessins bleus, il n'y a pas de chasse d'eau mais un broc, et à mi-hauteur du mur, un robinet. L'endroit, d'ailleurs, était propre... C'est idiot, je sais... Je savais très bien ce qu'il fallait faire, mais voilà, c'était physiquement impossible, à cause de tout ce sport que j'avais pratiqué, tu vois, du ski pendant tout l'hiver, bref, mes cuisses étaient trop de musclées, je n'arrivais pas m'accroupir...

- Voilà, voilà...!

- Alors je me suis rendu compte que j'étais devenu un monstre, en quelque sorte, je ne pouvais plus accomplir mes fonctions naturelles, de la manière qui après tout était naturelle à l'homme, la manière dont les trois-quarts de l'humanité... Tu ne peux pas savoir le choc que ça m'a fait, de découvrir que je ne pouvais pas m'accroupir... Enfin, le temps de découvrir mon handicap, et de faire ces réflexions profondes, le désastre était arrivé, mes jeans étaient pleins, je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie... c'était le pire moment de mon existence, dans ces toilettes... J'ai atteint au fond de la panique... Tu t'imagines, sortir de là, traverser les cuisines, le café... L'on m'avait tellement félicité pour ma bonne forme physique, les entraîneurs, il fallait les entendre, et moi je voulais atteindre, comment dire, le sommet de mes possibilités, je croyais que c'était bon, que c'était désirable, un noble but à poursuivre... J'avais réussi, en fin de compte, à n'être même pas "pratique..." Quelle leçon pour moi, nous, les accidentaux, je veux dire, les occidentaux... Il n'y avait pas de papier non plus, mais alors, me suis-je dit, si les trois milliards d'êtres humains utilisaient tous du papier hygiénique comme nous, y as-tu jamais pensé? La déforestation... Tout cela ne m'était jamais apparu aussi clairement... Ce n'est pas flatteur pour mon existence jusqu'ici, mais c'est l'expérience la plus importante que j'ai eue, franchement, ne rigole pas... Avec l'aide du broc et du robinet, j'ai pu me laver, et laver mes jeans, et mes chaussures, et mon slip... Le garçon s'est inquiété de ne pas me voir revenir et il a frappé de petits coups contre la porte. Je pouvais le voir à travers les fentes. Il ne bougeait pas, il regardait, avec une effronterie... Quand je suis sorti, il n'a pas ri, mais il avait tout compris, bien sûr, il m'a fait des signes, en me montrant l'étage au-dessus du café, on y montait depuis la cour par un escalier extérieur, en bois... J'ai dit, non, non, que j'allais bien, qu'il ne fallait pas s'inquiéter... Mais quand je suis retourné au café, en essayant de traverser le plus discrètement possible, ils ne m'ont pas laissé, le propriétaire m'a arrêté, très paternel, les clients se retournaient, ils faisaient cercle, j'étais mort de honte, tout le monde s'en est mêlé, pour me convaincre, il faut dire qu'il faisait plutôt froid, et finalement, j'ai décidé qu'il valait mieux que je me rende à leurs raisons, c'était moins humiliant que de rester comme cela au centre de toutes les attentions, ils m'ont fait entrer dans un petit réduit, une arrière-boutique, et ils m'ont donné des sous-vêtements et une paire de vieux pantalons propres, même des chaussettes, ils m'ont dit de laisser les miens, et puis ils m'ont offert le café... Je suis retourné le lendemain, pour rapporter le pantalon... Ils m'ont rendu mes jeans lavés, repassés, avec un pli...

- Voilà, tu as reçu la révélation de ta Vie... Félicitations, mon bébé! C'était ton rite de passage. Tu es devenu un homme nouveau, symbolisé par ces vêtements étrangers que tu as du porter...

A sa grande détresse, Daniel sentit son visage s'échauffer, ce qui n'était pas visible, sans doute, dans l'obscurité descendante, et sa voix trébucher bêtement au sortir de sa gorge.

- Le garçon s'appelait Younous, dit-il. Il était très mince, très agile et souple, très fort et très intelligent. Très gentil aussi et très gai. Alors cette réflexion m'a traversé la tête: qu'a-t-il coûté pour le produire? Pour l'amener jusqu'à ce stade: un être parfaitement dégourdi, utile...? Voire, même, dangereux? Presque rien. Alors que moi... Et lui est pratiquement parfait, alors que je suis hypertrophié, incapable même de m'accroupir pour... Comparé à lui, je suis absurde, le produit d'un monstrueux gâchis de ressources... Et son existence, son avenir? Misérables comparés au mien... Ils sont des centaines de millions comme lui, combien de temps accepteront-ils cet état de fait? Sans parler des femmes: des centaines de millions, trois fois plus misérables encore... Tu vois, nous, les privilégiés accidentaux, je veux dire, occidentaux, nous serions sans doute incapable de survivre dans les conditions générales de l'humanité... Ils ne survivent pas tellement bien, peut-être, mais ils sont en si grand nombre...

- Tu es tellement idéaliste, mon pauvre bébé! Tu es adorable!

Elle s'accrocha à Daniel, elle lui entoura du bras la taille, le serrant très fort. Elle se faisait pesante contre lui, elle l'enveloppait, le ralentissait. L'expérience remémorée, qu'il n'avait dévoilée à personne, avait donc pris à son insu telle forme, telle signification, était devenue démarche initiatique, et allait peser sur sa vie en conséquence. Un incident pareil, hélas, aussi péniblement dépourvu de dignité! Et c'était cette petite poivrote aux sentiments maternels engorgés qui lui en révélait la vraie nature. Il se sentait précaire, soudain, diminué, sans importance, certainement, hormis ce sillon ténu qu'il avait choisi de tracer et qu'elle avait déjà dévasté en le qualifiant d'"idéaliste." Il pouvait peut-être changer de cap, il était temps encore, mais quelle importance, puisque lui, n'en avait guère? Qu'il n'y avait pas, au fond, d'autre leçon?

- Ton père a besoin de moi, lui dit-elle.

- Comment cela?

- Il n'est pas bien!

- Qu'est-ce que tu veux dire? Physiquement?

- Il n'est pas bien! Il a besoin de quelqu'un...

- Il me semble qu'il se débrouille très bien, indépendant comme il est...

- Pour combien de temps?

- Tu ne le crois pas malade, tout de même?

- Je ne sais pas. En tout cas, financièrement, il n'est pas bien du tout...

Elle le guida sur un ponton, ils marchaient sur les poutres à claire-voie, au-dessus de l'écume. Il faisait parfaitement clair, le ciel, l'écume, les poutres argentées, le sable, la lune. Trop clair pour les étoiles. Elle pesait de la tête contre son bras, comme une amoureuse, mais elle pleurait à petite larmes de fillette mécontente.

- Je pourrais l'aider, mais il ne veut pas!

Daniel hésita, puis fini par avouer:

- Il m'a dit que tu voulais l'épouser.

- Vraiment? Sur quel ton il t'a dit ça?

- Sérieusement. Il m'a dit qu'il t'aimait, mais il semblait tenir plus que tout à son indépendance... Que tu l'avais toujours aimé indépendant et supérieur...

- C'est une illusion, son indépendance... C'est une question de quelques mois, d'une année peut-être... Et pour moi, il sera toujours supérieur... Dis-le lui...

- Alors, attends... Tu ne perds rien pour attendre...

Il se réveilla, plié, tassé, au fond de la Porsche arrêtée. Il était seul. Il s'était endormi au retour du night club. Il était presque trois heures. L'on n'était plus sur la route. La Porsche était arrêtée dans les dunes, dans les buissons. Il repoussa le siège avant, où Dola s'était trouvée assise à côté de Jason qui conduisait. Ils avaient du sortir prendre l'air sur la plage. Il se sentait la tête lourde, une migraine. Jason lui avait dit: Tu auras bien le temps de dormir demain, dans l'avion. Il pissa dans le sable. Il reconnut brièvement la voix de son père qui venait de loin. Il monta au sommet de la petite élévation de sable, parmi les oyats qui lui piquaient les chevilles. La route était loin en arrière, des voitures de police s'y croisaient, qui gardaient les grandes propriétés. De l'autre côté, sur le sable blanc, il distinga la silhouette de son père debout, seul, les mains dans les poches. A ses pieds, il y avait un sac à ordures de plastique noir, qu'il poussait doucement de temps à autre, du bout du pied. Il entendit encore sa voix. Le sac bougea, changea de forme. Il vit que c'était Dola. Son père s'éloigna, lentement, les mains dans les poches, faisant un cercle autour d'elle, la regardant. Il lui parlait. On ne comprenait pas ce qu'il disait. Soudain elle hurla, atrocement:

- Ferme-la!

Ils étaient tous les trois passablement ivres en sortant du night club. Il marcha vers eux. Ils étaient deux acteurs sur une scène nue. Elle se leva, et marcha d'un pas décidé vers la mer, qui était noire comme de l'encre, à peine ridée. La brise était délicieuse. Jason la suivit à distance, nonchalament. Elle entra dans l'eau et puis, plouf! elle s'y laissa tomber assise, comme elle l'avait été sur le sable, toute vêtue. Depuis la plage, il supplia. Une vague roula sur ses chaussures et le fit bondir. Alors, furieusement, il s'approcha d'elle, marchant dans l'eau, et lui saisit le bras, elle se défendit en criant, le mordit sans doute car il alors la poussa en avant violemment et lui plongea la tête sous l'eau, en criant: Salope, salope! et puis il la traîna en accrochant ses bras sous ses aisselles, hors de l'eau, sur le sable. Ils la portèrent tous les deux, mouillée et pleine de sable, parfaitement silencieuse maintenant mais pleurant les yeux grands ouverts, et ils la couchèrent par terre à côté de la voiture, Jason la deshabilla, en un instant elle glissa sur le sable, blanche et brillante comme un poisson tombant d'un sac, puis il la roula dans une grande couverture, et s'y prenant à deux, ils la rangèrent avec difficulté sur le siège arrière de la Porsche. Jason rassembla les vêtements mouillés et les jeta au fond du coffre.

Il prit le volant. Ils l'entendaient hoqueter de rire continûment, au fond de la voiture. Puis:

- Danny Boy, dit-elle soudain, d'une voix parfaitement composée, ne te trompes pas sur mon compte, je suis une femme parfaitement indépendante, moi aussi!

- Avec ton argent c'est facile, commenta Jason.

- C'est surtout une attitude d'esprit, dit-elle, avec dignité.

Et, immédiatement après, commença de ronfler. Très pesamment, très fort. La tête renversée, la bouche ouverte.

Pour Daniel, il était trop tard pour dormir. Il était dix heures du matin en France. Il s'assit en tailleur sur le balcon de bois, devant sa chambre, face à l'océan. Le lotus, il ne savait pas encore, c'était très, très dur, avec les muscles qu'il avait. Sa mère l'avait prévenu. Le jour s'était insinué entre ciel et mer. Jusqu'au matin, par la fenêtre ouverte de leur chambre, lui parvinrent les rires de son père et de Dola. Quand le jour se fut levé, ils s'endormirent. Il les entendit ronfler en duo. Il pensait à eux avec tendresse. Il se souvint de la Norvégienne: les femmes riaient, quand elles étaient avec son père. En France, ils commençaient de déjeûner: Maman assise sur un coin de son bureau, à l'institut; les petites soeurs à l'école; Enzo comme d'habitude dans quelque restaurant, à Thonon, Evian ou Annecy, avec des clients, des entrepreneurs, des sous-traitants. Madame Santiago nourrissait les chiens puis prenait son repas sur la terrasse. Dans le grand bazar d'Istamboul, l'animation était au maximum, le café était comble. Il faisait nuit en Californie, où il se trouverait dans quelques heures.

Il devait se faire enregistrer à l'aéroport de La Guardia pas plus tard qu'à dix heures. Comme ils ne se réveillaient pas, il poussa la porte de leur chambre, dans l'intention de les réveiller pour leur dire au revoir. Ils étaient tout nus, découverts, enlacés, et ils ronflaient. Un tube de Seconal sur la table de nuit. Le jour aveuglant inondait la chambre, le soleil était braqué sur eux. Rien au monde ne les réveillerait. Jason ignorerait son départ comme il avait oublié son arrivée. Il laissa une note sur le réfrigérateur, promettant de laisser la Porsche à La Guardia, au niveau le plus élevé du parking des United Airlines. Il chargea sa saucisse et son ordinateur dans l'arrière de la voiture. En roulant en direction de l'Ouest, il les sentit derrière lui, tous, égrenés le long d'un sillage de tendresse qui s'étendait sur un quart du globe, et il leur échappait, léger, léger de sa jeunesse. Il allait suivre des cours d'été à l'université Stanford. Sur l'écologie des marécages. Il était né tout près.




previous.gif     next.gif